Application de la laïcité dans les cantines scolaires

Session publique du 25 septembre 2023.

Intervention de Jean LOCTIN :

Conseiller départemental du canton Nord-Toulois

 

 

Madame le Préfet,

Le ministre de l’Éducation nationale s’est très récemment inquiété de la forte hausse du nombre de signalements relatifs aux atteintes à la laïcité dans nos établissements scolaires. Ces faits constituent un manquement caractérisé à la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Pour l’année scolaire 2022/2023, ce sont ainsi 4 170 atteintes qui ont été relevées, soit le double de l’année précédente ! Que ce soit par le biais vestimentaire, les provocations verbales, les menaces et intimidations ou encore le refus de participer à certaines activités scolaires en raison de la pratique d’un culte religieux, le « vivre-ensemble » – cher aux majorités départementales qui se succèdent – n’a fait que juxtaposer les différentes communautés au lieu de les intégrer.

Pour votre information, j’ai saisi votre prédécesseur par courrier en date du 3 octobre 2022, sur la multiplication des petits renoncements au principe de laïcité par notre collectivité. Cette adresse s’appuyait notamment sur le vote, par notre assemblée départementale, d’une disposition accordant aux familles des collégiens fréquentant le service de restauration scolaire « une remise des frais de cantine liée à la pratique prolongée d’un culte ».

Cette disposition, qui caractérise une entorse même à la laïcité et qui traduit une complaisance assumée pour la prise en compte d’une religion au sein d’un établissement, n’est pas acceptable !

Au titre de leur mission liée au contrôle de légalité des délibérations prise par notre département, il apparait que les services de l’État ont été, sur ce point, défaillants !

Aussi, Madame le Préfet, je serais honoré de connaitre votre position sur ce sujet, et plus particulièrement sur cette délibération n° 6 adoptée le 19 septembre 2022, que la majorité n’a pas souhaité amender en dépit de son caractère manifestement illégal.

Je vous remercie, Madame le Préfet, pour la réponse que vous voudrez bien m’apporter.

Jean LOCTIN

 

Réponse de Françoise SOULIMAN :

Préfet de Meurthe-et-Moselle

Monsieur le Conseiller départemental,

Vous évoquez le vote, le 19 septembre 2022, d’une disposition accordant aux familles des collégiens fréquentant le service de restauration scolaire d’une « remise de frais de cantine liée à la pratique prolongée d’un culte » et souhaitez connaître mon avis sur cette délibération.

Les collectivités territoriales assurent la restauration scolaire dans les établissements dont elles ont la charge. À ce titre, elles sont compétentes pour arrêter le règlement intérieur et les règles applicables en matière de remise d’ordre des établissements dont elles assurent ce service public. (cf Vadémécum La laïcité à l’école, fiche 12 page 65, décembre 2021).

Les chefs d’établissement et directeurs d’école sont régulièrement saisis de demandes d’exonération des frais de restauration scolaire (remise d’ordre pour non-fréquentation prolongée) de la part des parents d’élèves. L’objectif des remises d’ordre est de permettre aux familles de bénéficier d’une réduction lorsque l’élève ne fréquente pas le service de restauration de manière prolongée. Toutefois, afin de prévenir toute désorganisation du service qu’impliqueraient des absences répétées et injustifiées, les cas ouvrant droits à ces remises doivent être limités et préalablement définis.

Ainsi, les remises d’ordre sont accordées sous conditions à la demande des familles, qui doivent compléter un formulaire afin de préciser le motif de leur demande.

Ce n’est que si le règlement de la collectivité territoriale dont dépend l’établissement le permet et sur demande qu’une remise d’ordre peut, le cas échéant, être accordée, en cas de non-réquentation prolongée du service de restauration scolaire par un élève, pour tout motif lié à la situation particulière de l’élève ou aux circonstances familiales. L’important est de ne pas faire référence à un culte en particulier ou à des termes liés à une pratique religieuse. La formulation doit être générale et valoir pour toutes demandes de ce type et quel que soit le culte concerné. Le Ministère de l’Intérieur, saisi de cette question, l’a confirmé.

Ainsi, la délibération adoptée le 19 septembre 2022 n’est donc pas entachée d’illégalité.

Par ailleurs la loi confortant le respect des principes de la République a créé la possibilité pour le préfet de demander la suspension de l’exécution des actes des collectivités territoriales portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. Elle étend ainsi le régime de déféré-suspension des actes de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle à ces actes afin qu’ils puissent être rapidement soumis au contrôle du juge administratif, lequel devra se prononcer dans les 48 heures suivant la saisine du préfet.

La vigilance des services du contrôle de légalité de la préfecture s’exerce ainsi principalement dans les domaines suivants :

– l’organisation des services publics locaux : le contrôle de légalité a déjà rédigé une lettre d’observation à une commune qui mettait à disposition d’une association cultuelle une salle communale pour y effectuer des prières ;
– les marchés ayant pour objet l’exécution du marché public et les délégations de service public ;
– les subventions ou soutiens aux associations : le contrôle de légalité a déjà saisi plusieurs collectivités afin de leur rappeler leur obligation de signer un contrat d’engagement républicain ;
– les recrutements au sein de la fonction publique territoriale.

Toutefois, cette vigilance mérite d’être d’un part renforcée en me signalant tout acte qui pourraient méconnaître les principes de laïcité et de neutralité des services publics. D’autre part, il est important que les administrations développent un réseau de référents laïcité et que les fonctionnaires territoriaux et les élus suivent une formation spécifique à la laïcité afin de contribuer efficacement au respect des valeurs de la République.