Session publique du 25 juin 2018.
Question d’actualité de Patrick BLANCHOT:
Conseiller départemental du canton Nancy 1
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Le 16 mai dernier, Nicolas Hulot, Ministre de la transition écologique, donnait le feu vert à l’exploitation par Total de sa raffinerie de la Mède dans les Bouches-du-Rhône. Cette décision s’inscrit dans les pas de l’ancien gouvernement qui en 2015 autorisait Total à importer 300 000 tonnes d’huile de palme par an.
Cette raffinerie doit produire du « bio-carburant » à base d’huile de palme. Bio-carburant entre guillemets car on peut difficilement parler de bio-carburant quand l’exploitation de l’huile de palme est responsable d’une catastrophe écologique en Asie du Sud-Est.
D’une part la déforestation massive à l’œuvre en Indonésie et en Malaisie et d’autre part le remplacement des forêts primaires par des plantations de palmiers, responsables de l’oxydation des sols tourbeux, processus dégageant énormément de CO².
C’est la double peine écologique : on arrache des millions d’arbres qui absorbaient le CO² et la destruction des tourbières en produit massivement. L’Indonésie est aujourd’hui le premier producteur mondial d’huile de palme, elle est également l’un des plus gros pays émetteurs de CO².
Quid du bilan carbone de l’acheminement de 300 000 tonnes d’huile de palme par an pour faire fonctionner la raffinerie de Total.
Face à cette catastrophe écologique, nos agriculteurs peuvent être une solution, ils produisent du colza qui est utilisé pour produire du bio-diesel mais aussi pour l’alimentation de nos élevages avec les tourteaux de colza. (100 tonnes de colza produisent 40 tonnes de biodiesel et 60 tonnes de tourteaux) 350 000 hectares de colza dont 120 000 en Lorraine alimentent les bio-raffineries de Baleycourt dans la Meuse et Bazancourt dans la Marne. 70% des bio-diesels français proviennent de notre région.
Aujourd’hui cet écosystème agro économique se voit menacé par l’huile de palme. De gros investissements ont été réalisés pour développer cette filière alternative aux énergies fossiles. Le 15 juin, mes collègues du groupe UDC rencontraient un agriculteur de Réméréville extrêmement inquiet. Son exploitation est directement menacée par les importations d’huiles de palme. Comment lui et ses collègues, après avoir lourdement investi dans cette filière d’excellence, peuvent-ils rivaliser avec une huile de palme produite à bas coût et dans des conditions sociales quasi inexistantes.
La région Grand Est à fait savoir par le biais de son Président, Jean Rottner, sa totale désapprobation du projet de Total autorisé par le gouvernement. L’Union Européenne déjà engagée dans la suppression progressive de l’huile de palme dans les carburants à partir de 2021 vient d’acter l’interdiction son l’utilisation en 2030.
Monsieur le Président, notre collectivité se doit également de soutenir nos agriculteurs et la filière Colza en prenant également position résolument contre les importations d’huiles de palme et pour une agriculture de proximité qui produit et transforme localement les produits de la terre.
D’autres part, je voudrais être, avec d’autres un lanceur d’alerte sur le glyphosate. Dans le cadre de la transition écologique, promouvoir une alimentation durable est un engagement de notre Département notamment concernant l’approvisionnement en produits locaux dans la restauration de nos collèges avec en corollaire la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Une charte a été signée pour inscrire dans le marbre cet engagement.
Cependant, à côté de l’agriculture bio et maraichère, les champs de voisinages sont contaminés par l’herbicide total foliaire systémique absorbé par les feuilles qu’est le glyphosate. On retrouve ce même glyphosate dans le miel, justifiant une plainte des apiculteurs contre Bayer qui vient de racheter Monsanto.
Il est utilisé en pré récolte par les agriculteurs (colza, blé, maïs, vignes, vergers, oliveraies) et on le retrouve dans les aliments et les urines. Il est donc dangereux pour la santé humaine. Des études ont montré qu’il était cancérigène pour l’animal et cancérigène probable pour l’homme. C’est en tout cas un danger pour l’environnement.
Attendre le produit de substitution n’est pas jouer la montre pour que rien ne change, le produit miracle des années 90 est en fait dangereux.
Je pense qu’avant tout il s’agit d’une affaire de mentalité. Jusqu’en 2000 les agriculteurs brulaient la paille de leurs champs avant une récolte pour pouvoir semer plus vite. Cette pratique a été interdite en 2000 et les agriculteurs ont fait évoluer leurs pratiques. Je pense qu’avec le glyphosate nous pouvons également faire évoluer les mentalités.
L’assemblée a retoqué fin mai des amendements visant à interdire le glyphosate d’ici à 2021 voire 2023.
Notre société est en avance sur le monde politique qui reste conservateur. Soyons moins politique, moins conservateur et en phase avec notre société.
Les abeilles sont également tuées par les pesticides néonicotinoïdes. Apparus en 1995, responsables du dépérissement des 300 000 ruches par an. La production de miel a été divisée par 3 en 20 ans. 3 de ces produits ont été interdits depuis le 27 avril par l’Union Européenne mais certains comme le Sulfoxaflor sont toujours autorisés. La loi de 2016 sur la biodiversité n’est pas suivie d’effets avec comme conséquence la disparition des oiseaux et des abeilles. Là aussi il est urgent de voir les mentalités évoluer.
Patrick BLANCHOT
Réponse de Audrey NORMAND :
Conseillère départementale du canton de Neuves-Maisons
Patrick,
Chers collègues,
Les problématiques que vous soulevez dans votre question, qu’il s’agisse de l’huile de palme, du glyphosate ou des néonicotinoïdes, renvoient à une même préoccupation : quelle agriculture et quelle alimentation souhaitons-nous pour demain ?
Ces questions, elles ont été au cœur de nos échanges du 15 juin dernier, ici, au Conseil départemental, autour des états généraux de l’alimentation. Une démarche ambitieuse qui a permis à des mondes qui, jusqu’à maintenant, avaient du mal à dialoguer, de travailler ensemble. Une démarche d’autant plus nécessaire que l’accès à une alimentation saine, locale, respectueuse de l’environnement, et qui rémunère justement le travail des agriculteurs correspond à une attente forte de nos concitoyens.
Or, ce qui a été retenue dans le projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation n’est pas à la hauteur des enjeux, encore moins après son passage devant l’Assemblée nationale et le Sénat.
Je pense en particulier à la suppression de l’objectif de 20 % de produits bios dans les cantines.
Concernant l’huile de palme que vous évoquez dans votre question, disons-le clairement, autoriser son importation massive, même dans des proportions encadrées, c’est à la fois encourager la déforestation en Asie du Sud-Est, c’est tolérer l’usage de pesticides puissants interdits en Europe, c’est cautionner les conditions déplorables et le coût du travail peu élevé dans les pays de production et c’est enfin un non-sens environnemental et une mise en danger de nos filières économiques lorraines. Parce que nous ne pouvons nous y résoudre, il faut affirmer notre opposition ferme à ce projet porté par Total mais aussi appeler à la vigilance de chacune et chacun d’entre nous, au quotidien, dans nos modes de consommation.
Le Département y prend sa part et je citerai un seul exemple qui peut paraître anecdotique mais, les petits ruisseaux faisant les grandes rivières…. Cet exemple, c’est celui du gâteau Equi choc, réalisé à partir de chocolat équitable sans huile de palme et respectant le travail des petits producteurs locaux, résultat d’un partenariat avec la fédération des boulangers pâtissiers de Meurthe-et-Moselle, dans le cadre de la démarche Territoire de commerce équitable pour laquelle notre département a été le premier labellisé en France.
La question du glyphosate, que vous soulevez, cher collègue, a été au cœur de l’actualité ces derniers mois. Aujourd’hui, il n’est plus question de débattre de sa toxicité ou de son caractère cancérogène, même du fait qu’il faille s’en passer ou non. Je crois que dans cette Assemblée, en tout cas, nous pouvons nous rejoindre sur tous ces points.
En revanche, comment fait-on pour éradiquer cet herbicide, le plus utilisé au monde, dont la France consomme plus de 9 000 tonnes par an ? Quelles conditions doivent être réunies pour pouvoir s’en passer ? Comment s’assurer qu’il n’est pas remplacé par d’autres produits ou pratiques plus destructifs encore pour l’environnement et la santé ? Comment, enfin, accompagne-t-on notre agriculture pour changer ses pratiques et réduire sa dépendance aux produits phytosanitaires ?
Nous sommes ici face à des questions complexes. C’est pourquoi j’ai sollicité l’expertise de la Chambre d’agriculture et de l’Agence de l’eau qui interviendront cet après-midi en commission pour nous permettre d’avoir une lecture la plus fine possible sur ces sujets sensibles.
J’ai la conviction, chers collègues, que nous avons tout à gagner à nous positionner de manière forte et unanime sur ces sujets qui concernent l’avenir de notre agriculture de notre alimentation et de nos territoires. Nous aurons l’occasion d’y revenir largement au cours des prochains jours et de tirer la sonnette d’alarme sur l’avenir de la politique agricole commune, à l’heure où la Commission européenne envisage une baisse de 12 % de l’enveloppe dédiée à l’agriculture pour la prochaine période 2021-2027, soit une baisse de 43 milliards d’euros sur 7 ans qui pénalisera lourdement le revenu de nos agriculteurs. Je vous remercie.