Session publique du 15 décembre 2021
Intervention de Luc BINSINGER :
Conseiller départemental du canton de Jarville-la-Malgrange
Madame la Présidente,
Mes chers collègues,
« Un budget est comme la rubrique des potins : on peut l’épicer de fiction, car personne n’en connait jamais la vérité. » Cette citation n’est pas de moi mais de l’écrivain gallois Ken Follett, dont il est permis de se demander si elle n’aurait pas été prononcée à la lecture des rapports qui nous sont présentés à l’occasion de cette session budgétaire.
Inlassablement, chaque mois de décembre, la commedia dell’arte se rejoue dans notre hémicycle. Une majorité dans l’autosatisfaction qui nous explique humblement qu’elle est la meilleure, une opposition qui tente de revenir à des considérations de terrain, au plus proche de nos concitoyens vous invitant à investir, et enfin les communistes, qui nous expliqueront dans quelques instants leur fierté de participer à cette gouvernance partagée depuis de si nombreuses années.
Les acteurs sont en place, les trois coups de brigadier ont résonné, la représentation peut commencer.
« Le budget proposé s’inscrit dans la continuité des années précédentes » : cette première réplique, que nous retrouverons dans chacun des actes de cette pièce tragique, donne le ton !
La vérité qu’évoque Ken Follet, nous pourrions logiquement espérer la retrouver dans le dernier compte administratif, seul juge de l’action réelle de votre majorité. Mais il nous sera répondu que la crise sanitaire que nous traversons ne nous permettra pas de l’apprécier objectivement.
À l’évocation de cette crise, nous avons tout naturellement une pensée pour les personnes frappées par la maladie, pour leurs proches, mais aussi pour nos commerçants, les professionnels de l’animation et de l’événementiel… en résumé, pour tous ceux pour qui ces fêtes de fin d’année représentaient une espérance et une bouffée d’oxygène dans une année à nouveau teintée par la morosité.
Nous tenons également à rendre hommage à l’ensemble des agents de notre département, qui œuvrent dans l’ombre et dans des conditions souvent difficiles pour mener à bien leurs missions de service public.
À ce titre, comment ne pas évoquer les manifestations et mouvements de grève qui ne cessent de se multiplier au sein de notre institution ? Alors que notre collectivité s’affiche comme « proche et solidaire », plus de 400 personnes, travailleurs sociaux et acteurs de l’aide sociale à l’enfance, ont investi une nouvelle fois l’enceinte du centre administratif départemental le 7 décembre dernier.
Les jolis graphiques et les belles phrases de notre bilan social semblent se heurter à une réalité toute autre, celle du quotidien de femmes et d’hommes qui n’en peuvent plus, éprouvés par de grands principes philosophiques ou politiques trop peu suivis d’effets.
Non Madame la Présidente, l’accueil inconditionnel ne peut se faire sans donner à nos agents les moyens d’accueillir et d’accompagner décemment !
Depuis de nombreux exercices budgétaires, nous constatons les effets d’annonce du mois de décembre qui s’effritent irrémédiablement face aux désillusions du mois de juin, lors de l’analyse des résultats de l’exercice précédent.
Lorsqu’il n’y avait pas de pandémie, c’était le désengagement de l’État ou le retrait de certains partenaires qui venaient justifier des ambitions à la baisse.
Un « c’est pas moi, c’est les autres » qui ne convainc plus personne d’autre que vous.
Ainsi, nous sommes face à un budget primitif 2022 sans substance ni consistance.
Un budget de gestion où vous vous contentez de gérer une institution plutôt que d’en faire un acteur de premier plan au service des meurthe-et-mosellans. Une vitrine de l’Union des Gauches, qui servira sans doute à convaincre vos candidats à l’élection présidentielle de s’unir s’ils ne veulent pas dépérir.
Permettez-moi de revenir, Madame la Présidente, sur quelques points saillants de la présentation générale du budget pour l’exercice 2022 :
Vous parlez d’offrir à notre jeunesse les conditions de son émancipation. Définitivement, nous n’avons pas la même approche de ce que devrait être la capacité, pour cette nouvelle génération, à s’émanciper. Sur ce RSA Jeunes que vous leur offrez comme perspective, nous nous inscrivons en tout point dans les propos tenus par notre collègue Sabine LEMAIRE-ASSFELD à l’occasion du Débat d’Orientations Budgétaires, qui soulignait à juste titre que le financement du chômage ne pouvait être un remède à la précarité.
Nous vous proposions alors d’élargir l’éligibilité des dispositifs de bourses d’enseignement supérieur et de prêts. Mais plutôt que de saisir notre main tendue sur ce sujet, vous préférez tout simplement supprimer cette ligne budgétaire, compte tenu de « la faiblesse de la plus-value du système de prêt départemental » écrivez-vous dans le rapport n°12. Sans doute avez-vous voulu donner raison à notre collègue Jennifer BARREAU qui avait donc été clairvoyante avant tout le monde en considérant – je cite – « [qu’elle ne comprenait] pas pourquoi on en parle ici au Département, parce que ce n’est pas notre compétence ni les bourses étudiantes ni les prêts étudiants ».
Vous évoquez ensuite le Plan Collèges Nouvelles Générations – pardon ! – la Politique Collège Nouvelles Génération doit-on dire désormais. Le PCNG est mort, vive le PCNG ! Un glissement sémantique qui ne dupe personne, tant le retard considérable pris sur ce sujet depuis 2012 conduit un peu plus chaque jour nos collèges à s’inscrire dans l’ancienne génération.
Je voudrais partager avec vous une phrase qui a particulièrement retenu notre attention et qui ne devrait pas tarder à intégrer le recueil des perles de notre assemblée.
Dans le rapport n° 38 relatif au « zoom sur la politique publique départementale des collèges », il nous est indiqué – je cite – que « dix ans après le démarrage du PCNG et en s’appuyant sur ce bilan très positif – bien sûr ! –, mais en prenant également en compte les enseignements tirés – nous serions ravis de savoir de quels enseignements il s’agit ! –, force est de constater que l’action du Département en la matière ne peut s’inscrire dans un plan, avec une date de début une date de fin, et un montant figé. »
En résumé, le Plan Collèges Nouvelles Générations ne pourrait donc s’inscrire dans un plan (!), sans échéances ni perspectives… Quelle tromperie !
Sur la question éducative, notre groupe sollicite par ailleurs la révision de la sectorisation scolaire, qui n’est plus adaptée à l’évolution démographique de nos territoires. Ici des collèges sont sous-occupés quand, ailleurs, des établissements en état de saturation nécessiteraient de connaitre une extension ou de nouvelles implantations.
En parlant de culture, parlons de Château ! Comme vous l’évoquiez lors de notre session départementale du 22 novembre dernier, votre « objectif est de définir un projet d’ampleur territoriale aux ambitions culturelles et touristiques reposant sur un socle scientifique, architectural et économique de long terme », faisant fi du programme global adopté lors de notre session du 3 février 2020. Nous apprenons désormais, à la lecture du rapport n° 11, qu’ « il appartient désormais aux partenaires institutionnels de trouver un accord pour les orientations futures du château ». Là encore, une belle pirouette pour se défausser de toute responsabilité, faisant reposer sur d’autres vos propres inconséquences.
Sur le volet social, plusieurs remarques également.
Dans ce domaine, vous aviez les mains libres. Il vous était certes toujours possible de regretter certains désengagements de l’État, mais notre collectivité étant au cœur des politiques de solidarités, il est plus difficile de renier ses responsabilités.
Nous nous réjouissons de la finalisation des travaux de la nouvelle pouponnière et du centre parental du REMM, dont le dossier à 11 millions d’euros vient seulement de franchir le stade de la commission d’appel d’offres au bout de quatre années… Quelle réactivité !
Sur votre politique en matière d’insertion, le résultat que nous pouvons constater chaque année est loin d’être à la hauteur des ambitions affichées. Toujours plus d’argent, pour un retour à l’emploi toujours moins important. Une filière de l’économie sociale et solidaire subventionnée à plein régime, comme s’il appartenait au secteur public de créer de l’emploi dans le secteur marchand. Une approche dogmatique et idéologique, où l’entreprise – associée dans vos esprits au patronat – est un mot tabou, alors que certaines filières ont pourtant un réel besoin de main d’œuvre.
Notre collectivité est devenue une collectivité d’élus gestionnaires, dont les moyens déployés ont plus d’importance que la finalité.
À ce titre, nous demandons avec insistance une large audition des différents responsables des structures d’insertion, afin de mesurer avec précision le degré d’implication des organismes que nous finançons et de procéder à une juste évaluation de nos politiques publiques départementales. Et parce que votre capacité à l’humilité a déjà été éprouvée, nous vous sollicitons pour que cet audit soit extérieur.
En mentionnant l’évaluation de nos dépenses, celles liées à la Cité des Paysages mériteraient un examen tout particulier. 2 millions 100 d’euros d’investissement pour une deuxième phase d’aménagement, en augmentation par rapport à ce qui a été voté l’an passé. La disproportion entre les moyens financiers engagés et la fréquentation de ce site sous gestion départementale nous interpelle et nous consterne.
Je vous invite, Madame la Présidente, à taper « Cité des paysages » dans votre moteur de recherche. Les horaires indiqués pour le grand public mentionnent une fermeture du lundi au samedi, avec, je dois bien le reconnaitre, une ouverture prévue le dimanche… de 23h à 23h30 ! Quand on s’aperçoit que la mise à jour de ces informations a été réalisée il y a moins d’un mois, on se dit que certains doivent passer de sacrées fin de week-end !
En matière de solidarité territoriale, nous regrettons l’absence d’accompagnement suffisant des territoires périurbains et ruraux, laissés pour compte au profit d’affichages politiques instrumentalisés à grand renfort de communication.
Que dire des Contrats Territoires Solidaires, qui connaissent actuellement leurs derniers jours sans qu’une réflexion concertée avec l’ensemble des élus départementaux ne soit pour l’heure engagée ? Une reconduction à l’identique pour une année et la création d’une nouvelle enveloppe de 2 millions d’euros – le Fonds d’Initiative Départementale (FID) – dont il conviendra de s’assurer de l’équitable répartition au regard des besoins réellement exprimés et justifiés ; et non pas à une distribution de chèques cadeaux aux amis !
Sur le plan financier, vous êtes là encore les meilleurs ! Alors que nous bénéficions d’un contexte financier favorable, vous vous contentez de gérer sans réaliser les grands investissements dont notre département aurait pourtant besoin pour son attractivité. L’emprunt n’est pas forcément toxique, Madame la Présidente, lorsqu’il tend à porter des projets ambitieux, novateurs et structurant nos territoires.
En conclusion, Madame la Présidente, mes chers collègues, à ne pas tenir nos promesses et à ne pas honorer le rendez-vous fixé lors des élections départementales, nous perdons la confiance et la reconnaissance de nos électeurs. Cela ne se voit pas encore dans les urnes mais se traduit déjà largement dans la faible participation.
Vous profitez du développement des intercommunalités et du fait métropolitain pour stagner dans une relative obscurité, en assurant ni plus ni moins les missions légales et réglementaires prévues par les textes, sans souffle ni vision.
Nous ne souhaitons pas que les élus départementaux deviennent des rentiers de la pauvreté, nous souhaitons des engagements qui nous fassent passer de l’observation à l’action, des pleurs à l’enthousiasme, de la tristesse à l’espoir.
Pour cette raison Madame la Présidente, mes chers collègues, vous comprendrez que nous ne pourrons pas voter ce budget primitif pour l’exercice 2022.
Je vous remercie.
Luc BINSINGER